Mexique

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LaNeta

 

Introduction

Le Mexique connaît actuellement une crise sociale et économique qui pose de graves problèmes dans les régions urbaines et rurales. La violence est une réalité de la vie quotidienne, notamment un taux élevé de meurtres de femmes (plus de 6 000 femmes ont été tuées depuis 1999 et la plupart de ces meurtres ne sont pas résolus) (Univision, 2007). Des centaines de meurtres sont commis chaque année dans le contexte du trafic de drogues et les groupes spécialisés dans le kidnapping sont de plus en plus nombreux. La seule constante est le manque de garantie des droits fondamentaux.

La diminution du pouvoir d’achat limite l’accès aux biens et aux services, y compris aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Selon une information publiée par l’Agence fédérale de protection des consommateurs (PROFECO), le coût d’un panier à provision de base (canasta familiar) est passé de l’équivalent de 16,8 jours de salaire minimum en décembre 2006 à 23 jours en mai 2008 (Di Constanzo, 2008). Cette situation appauvrit encore les familles mexicaines.

L’administration fédérale privilégie le plus souvent les intérêts du grand capital et du marché aux dépens des intérêts de ses citoyens. Le gouvernement a essayé de vendre au plus offrant, qu’il soit Mexicain ou étranger, ses ressources nationales : littoral, pétrole, gaz et fréquences de télécommunication, pour n’en nommer que quelques-unes.

Accès aux TIC

En raison des conditions socio-économiques du pays, les TIC continuent d’être utilisées uniquement par les classes privilégiées du Mexique. L’inégalité de l’accès numérique s’explique par les différences de revenu, l’âge, le sexe, l’urbanisation et les disparités socioéconomiques entre les régions.

Les statistiques sont effarantes. C’est au Mexique que l’on trouve le deuxième homme d’affaires le plus riche du monde, Carlos Slim, qui gagne 30,13 millions de dollars par jour (Bill Gates n’en gagne que 5,4 millions) (Galán, 2008), alors que le salaire minimum quotidien d’un travailleur Mexicain est de moins de 5 dollars.

Ce n’est pas une coïncidence si les télécommunications sont l’un des secteurs qui rapportent le plus à Carlos Slim. Il possède Telmex et America Móvil, fournisseurs de services de téléphonie et d’internet, non seulement au Mexique mais aussi dans plusieurs pays latino-américains. Il a établi sa fortune dans les années 1990 lorsque la compagnie nationale de téléphone Telmex lui a été vendue à un prix défiant toute concurrence, lui ouvrant ainsi la voie à d’énormes profits. Outre Slim, un certain nombre de familles mexicaines sont également connues pour leurs pratiques monopolistiques (par exemple les Salinas Pliego, les Arango et les Azcárraga).

En 2007, deux sources fiables spécialisées dans l’accès internet et les TIC nous ont fourni des données divergentes. Le sondage sur la disponibilité et l’utilisation des technologies de l’information dans les ménages, réalisé par l’Institut national des statistiques, de la géographie et de l’informatique, a estimé à 20,8 millions le nombre d’internautes au Mexique alors que le sondage sur les habitudes des internautes réalisé par l’Association internet mexicaine (AMIPCI) les a estimés à 22,7 millions (AMIPCI, 2007). Cette différence de presque 2 millions est loin d’être négligeable.

Malgré cette imprécision, il est clair que la majorité des internautes du Mexique sont jeunes, 63 % ayant entre 12 et 34 ans. D’autre part, 47,6 % sont des femmes alors que les hommes représentent 52,4 %. Même si l’écart ne semble pas important, une combinaison de facteurs socioéconomiques limite en fait l’accès des femmes à l’internet. Par exemple, outre les aspects techniques, éducatifs et familiaux habituels qui bénéficient davantage aux hommes qu’aux femmes, de nombreux hommes ont accès à l’internet et aux TIC à leur travail alors que nombre de femmes travaillent à l’usine et dans des secteurs de services où elles occupent des postes qui ne nécessitent pas l’utilisation d’un ordinateur, de l’internet ou des TIC en général. Le faible accès à l’internet dans la population en général s’explique également par un certain nombre de facteurs comme le manque de compétences dans l’utilisation des technologies, le rejet culturel des TIC et le manque de sensibilisation à leurs avantages (Tello, 2008).

De plus, 92,4 % des internautes vivent dans les régions urbaines alors que 7,6 % seulement se trouvent dans les régions rurales. Il existe également des différences entre les régions. Les régions du nord et du centre du Mexique ont des indices de pauvreté plus faibles que dans le sud car c’est là qu’est concentrée l’activité économique. Par conséquent, l’investissement dans les ordinateurs par rapport au produit intérieur brut (PIB) y est plus élevé que la moyenne nationale. Le sud du Mexique et certaines régions centrales qui ont des taux de pauvreté plus élevés et des investissements plus faibles sont également les régions ayant la plus forte densité de population indigène. Par conséquent, une femme de plus de 40 ans qui vit dans une région rurale aura beaucoup de mal à accéder à la technologie.

Pour tenter de promouvoir les TIC comme moteur de l’économie, le gouvernement a favorisé la compétitivité plutôt que d’insister sur les avantages sociaux éventuels pour la population. Mais même en privilégiant les TIC et le secteur privé, il est étonnant de voir que le Mexique n’a pas réussi à implanter les TIC dans le monde des affaires mexicain. Selon le Rapport sur la technologie de l’information dans le monde 2007-2008, produit par le Forum économique mondial en collaboration avec l’école des affaires internationales INSEAD, le Mexique a perdu neuf places sur l’indice de l’état de préparation au réseau, de 49e en 2006 à 58e. Deux raisons fondamentales à ce déclin ont été données : l’utilisation limitée des TIC au gouvernement fédéral et la mauvaise administration du secteur de l’éducation (Cervantes, 2008).

Au Mexique, la faible pénétration des TIC dans les entreprises est surprenante. Cela varie selon la taille de l’entreprise, la région et le secteur économique. Différentes sources ont évoqué plusieurs raisons, notamment la régulation des télécommunications, les tarifs de la large bande, les différences de taille des entreprises et le manque de financement pour acquérir de l’équipement informatique. Il existe donc une fracture numérique importante entre les entreprises mexicaines et celles d’autres pays (Tello, 2008).

Par contre, le même rapport indique que la large bande s’implante progressivement au Mexique. En 2008, le nombre des utilisateurs a augmenté de presque 5 %. Mais les coûts sont encore élevés pour la majorité de la population comme l’indique le rapport de 2007 sur les perspectives des communications de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon lequel le Mexique est le pays où les prix de la large bande sont les plus élevés parmi les 30 États membres de l’OCDE. Le coût va de 52,36 à 802,65 dollars par mois alors que si on compare au niveau international, le coût de la large bande en Suède va de 10,79 à 46,74 dollars par mois (OCDE, 2007).

La téléphonie mobile connaissant la plus forte croissance dans le secteur des télécommunications du Mexique, on pourrait en déduire que c’est le service qui offre le plus grand accès. Au dernier trimestre de 2007, on comptait 589 appareils pour 1 000 habitants soit 64,6 millions de lignes. La téléphonie mobile a donc connu une croissance de 19,4 % en 12 mois (Competitive Intelligence Unit, 2008). Cette croissance est intéressante car elle s’est produite en dépit de la lourdeur des coûts de service. Les opérateurs qui offrent des tarifs intéressants (par seconde) sont très peu nombreux. La majorité impose des frais par minute, ce qui coûte plus cher à l’utilisateur. C’est là un aspect essentiel pour le consommateur ; il semble en effet que ceux qui possèdent des téléphones ne les utilisent pas souvent.

Programme numérique

Il ne fait aucun doute que le Mexique a besoin d’un programme numérique pour assurer l’égalité d’accès. Pour le moment, un tel programme n’existe pas. Le gouvernement fédéral met plutôt en œuvre des programmes et des initiatives non coordonnées dans différents ministères. Ces programmes sont répartis entre le plan de développement national, ses plans sectoriels correspondants et des plans de développement d’État séparés. Mais comme il n’existe pas d’inventaire de ces programmes, il est impossible d’analyser le moyen que l’État a adopté pour conduire le pays vers une société numériquement développée (Política Digital, 2008).

L’initiative officielle en matière d’accès universel et d’information gouvernementale depuis sept ans est e-Mexico, qui tente de créer un système de connectivité par satellite et d’offrir des services aux secteurs de l’éducation et de la santé notamment. Mais comme il a été mis en œuvre par le Ministère des communications et des transports, il n’a pas reçu l’appui du Ministère de l’éducation ni de celui de la Santé (Hofmann et García-Cantú, 2008). E-Mexico est un échec malgré les efforts du gouvernement. À présent, les pouvoirs publics débattent d’une nouvelle stratégie d’accès universel faisant appel à la connectivité Wimax et Wifi pour les écoles, les centres de santé et les bureaux de l’État. Les nouveaux réseaux d’éducation, de santé et de gouvernement, une nouvelle version de e-Mexico (sans satellite) et la Corporation universitaire pour le développement de l’internet (CUDI) seront les principaux exécutants du projet. 

En termes de contenu, les services de gouvernement en ligne tentent de faciliter l’accès de la population à l’information officielle. Mais ces sites ne sont pas mis à jour régulièrement et ne sont pas coordonnés ; ils sont le reflet d’un problème profond de l’initiative de gouvernement en ligne mexicaine : le manque de coordination dans les achats d’équipement, le manque de cadre réglementaire et bien évidemment l’absence de stratégies concertées au sein du gouvernement.

L’accès à l’information publique est un élément fondamental d’un programme numérique. Le Mexique a lancé ce processus il y a quelques années, mais la transparence « se pratique avec difficulté et dans la plupart des territoires n’atteint pas un niveau satisfaisant », selon une récente enquête du Centre de recherche et de développement économique (CIDE) (Zócalo, 2007).

Tout programme numérique implique également le droit à la communication. Un accès aux TIC sans droit de communiquer serait une contradiction. Les droits des peuples indigènes, des femmes et des citoyens en général de communiquer, le droit d’être informé, le droit des journalistes de pratiquer leur profession sans risquer leur vie, le droit d’accéder aux TIC conformément à la vision et aux besoins des différents groupes, tout cela doit être garanti. En bref, le programme numérique doit être axé sur les personnes et ne doit pas se définir uniquement en termes de marché.

Le soutien de l’État à la recherche sur les TIC revêt également une grande importance. Le gouvernement mexicain apporte un soutien insuffisant et en laisse la responsabilité aux universités et au secteur de la recherche. Mais comme le dit Guillermo Rodríguez Abitia, le directeur du Centre pour le développement des technologies de l’information à ITESM-CEM, « pour le moment, la plupart des entreprises qui œuvrent dans les technologies de l’information sont des fournisseurs de services pour les grandes compagnies et font donc très peu de recherche » (Investigación y Desarrollo, 2008).

Il existe quelques initiatives de recherche universitaire. L’Université autonome nationale de Mexico (UNAM), par exemple, essaie de connecter plusieurs institutions du pays et de définir un plan de 20 ans pour les TIC. Le réseau de l’UNAM a également conclu des accords avec le ministère de l’Économie pour créer des bureaux de gestion du savoir dans les établissements d’enseignement afin de répondre aux besoins en télécommunications du pays.

Les mesures du gouvernement fédéral en faveur des compagnies de logiciel propriétaires – il a par exemple renouvelé son partenariat avec Microsoft Mexique – ne favorisent pas une politique d’accès général. Parallèlement, le gouvernement fédéral a annoncé des lignes directrices spécifiques pour les dépenses publiques. Deux mesures ressortent particulièrement :

  • Les institutions fédérales doivent cesser d’acheter des TIC. Sur une période de 36 mois, toutes les TIC doivent être obtenues par contrat de services de location avec des compagnies commerciales (Diario Oficial de la Federación, 2006).
  • Ces directives permettent aux agences d’État de choisir entre les logiciels libres et des solutions commerciales, mais du fait qu’elles soient obligées de conclure des accords de services avec des compagnies commerciales, le logiciel est contrôlé par le fournisseur. On signale déjà de nombreux cas où des compagnies interdisent l’utilisation des logiciels libres dans les contrats fédéraux.

Le programme numérique du pays devrait également s’intéresser à certains groupes de la population. Or, les lignes directrices sur les femmes, les jeunes, les indigènes ou les personnes handicapées, pour n’en mentionner que quelques-uns, n’existent pas pour le moment.

À cet égard, un décret a été publié en mai 2008 pour établir la conformité du Mexique à la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées. Entre autres, la convention oblige le Mexique à adopter des mesures qui assurent l’accès aux TIC, y compris l’accès à l’internet, pour les personnes handicapées. Cette exigence est très importante quand on sait qu’environ 10,3 millions de personnes sont handicapées à divers degrés (Álvarez, 2008), mais n’ont aucun moyen d’utiliser les services de base, par exemple faire des appels d’urgence ou consulter des renseignements officiels. Selon la convention, le Mexique s’engage à diffuser l’information publique dans des formats accessibles, notamment en produisant des émissions de télévision avec sous-titres. Même si les effets de la convention ne se font pas encore sentir, elle laisse espérer que la liberté d’expression des personnes handicapées sera garantie.

Mesures à prendre

Au Mexique, les politiques publiques favorisant la population sont fondamentales pour assurer un accès efficace des TIC. Nous devons réfléchir à ce que dit Tello : « [Une] société câblée n’est pas une société préparée à accéder à l’information, à l’évaluer et à l’appliquer. L’aspiration à devenir une société du savoir implique nécessairement qu’outre l’accès au réseau, les gens aient un véritable accès à l’information, qu’ils sachent quoi en faire et qu’ils aient la capacité de la transformer en savoir et en avantages concrets » (Tello, 2008).

Plusieurs lois sont actuellement lois en instance, la plus urgente étant sans doute la Loi sur la radio, la télévision et les télécommunications. La Cour suprême a bien réglé un problème d’articles incompatibles en juin 2007, mais son approbation tardive s’explique par des raisons politiques – malgré les recommandations des organisations internationales des droits de l’homme.

Le Mexique a besoin d’une politique publique qui réponde aux besoins sociaux et produise une valeur pour la population. Il faut notamment consacrer davantage de fonds aux TIC. Il faut également réduire les coûts de la téléphonie mobile et de la large bande. Et il faut en outre briser les monopoles des compagnies de télécommunication. Des projets de TIC sociaux, comme les villages numériques, ont également leur importance.

Finalement, les Mexicains ont besoin de reprendre confiance dans l’information publique. Le contrôle des médias de masse, la publication d’informations contradictoires et l’assassinat de journalistes ont sapé leur confiance.

La promotion de réseaux sociaux pour encourager la participation, renforcer l’identité et la transparence est fondamentale. Les femmes et les hommes mexicains vont devoir créer un cadre réglementaire qui assure l’accès aux TIC et qui permette à la société de participer à la reconstruction du pays.

Références

Álvarez, C., Telecom y discapacidad: ¿a quién le importa? Razón y Palabra, 20 mai, 2008. Voir à:www.cem.itesm.mx/dacs/publicaciones/logos/telecom/2008/may20.html

AMIPCI (Asociación Mexicana de Internet), Hábitos de los usuarios de Internet en México, 2007. Voir à: www.amipci.org.mx/estudios.php

Cervantes, S., México reprueba en tecnologías, El Universal,9 avril, 2008. Voir à: www.el-universal.com.mx/finanzas/vi_63650.html

Competitive Intelligence Unit, Telefonía Móvil, 2008.Voir à: www.the-ciu.net

Diario Oficial de la Federación, Decreto que establece las medidas de austeridad y disciplina del gasto de la Administración Pública Federal, 4 décembre, 2006.

Di Constanzo, M.,Con Calderón, la pérdida en el poder adquisitivo del salario mínimo es del 27%. Secretaría de la Hacienda Pública, 2007. Voir à:secretariadelahaciendapublica.blogspot.com

Galán, V., Carlos Slim gana 1.25 mdd por hora. CNNexpansión.com, 7 mars, 2008. Voir à: www.cnnexpansion.com/actualidad/2008/03/07/slim-gana-251-000-dolares-por-hora

Hofman, A. et García-Cantú, M., Una estrategia nueva para el acceso universal en México. Política Digital,No. 45, août-septembre, 2008.

Investigación y Desarrollo, Informática, se busca una agenda nacional, Investigación y Desarrollo, septembre, 2008. Voir à: www.invdes.com.mx/activacion-inf.asp?CategoriaID=1&MesID=5&YearID=11&SubCategoriaID=1530

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Tello, E., Las tecnologías de la información y comunicaciones (TIC) y la brecha digital: su impacto en la sociedad de México, Revista de Universidad y Sociedad del Conocimiento, 4(2), 2008. Voir à: www.uoc.edu/rusc/4/2/dt/esp/tello.html

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Zócalo, El acceso a la información en México a media tabla: CIDE, Revista Zócalo, No. 94, décembre, 2007. Voir à: www.laneta.apc.org/zocalo/index.shtml?cmd[30]=c-2-94&cmd[31]=c-2-94