Afrique

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Department of Management Science, Strathclyde Business School

 

Introduction

Les communications en Afrique ont progressé à un rythme relativement rapide. C’est ainsi que, grâce à la croissance spectaculaire des communications par téléphone mobile, il n’est plus possible de comparer le nombre de téléphones sur le continent à celui d’une ville ailleurs dans le monde[1].

Mais les problèmes d’accessibilité persistent et le coût financier de l’accès dans les pays africains est parmi les plus élevés du monde. Divers facteurs y contribuent, notamment la faiblesse des réformes réglementaires et le manque d’uniformité des politiques et des lois, ce qui a une incidence sur le niveau d’investissement dans le secteur et nuit à la concurrence dans le marché des télécom. Le niveau de développement de secteurs connexes, en particulier le secteur énergétique (de l’électrification), a également une grande influence sur le coût d’accès tout comme les conditions socioéconomiques, y compris la stabilité politique, les indicateurs de capital humain, comme l’alphabétisation et les niveaux de scolarisation, et le bien-être économique de la population.

Mais le principal facteur de l’accès limité et cher à l’infrastructure des communications en Afrique reste l’insuffisance des infrastructures de télécommunication de base.

Évolution

L’Union internationale des télécommunications (UIT) appelle la période pendant laquelle un pays passe d’une télédensité[2]de 10 lignes pour 100 habitants à 30 lignes pour 100, la transition de télédensité (UIT, 1998). Cette transition est importante car c’est lorsque la télédensité est supérieure à 30 pour 100 habitants que les perspectives économiques et de développement s’améliorent considérablement[3]. On mesurait auparavant la télédensité en fonction des lignes fixes, et le temps qu’il fallait à certains pays en développement pour faire la transition allait de huit à 35 ans (UIT, 1998)[4]. Les choses ont changé avec l’arrivée des réseaux cellulaires mobiles, plus faciles à déployer par les opérateurs et à adopter par les consommateurs. La figure 1 en donne une illustration avec les cas de plusieurs pays africains. Elle montre qu’en sept ans seulement, six pays ont pu faire passer le nombre des abonnés au mobile de moins de un à plus de 30 abonnés pour 100 habitants.

En fait, pour l’ensemble du continent, la « télédensité réelle »[5]est passée de 1,61 pour 100 habitants à 28,11 en un peu moins de 14 ans (1993 à 2007) – c’est-à-dire du « point charnière » au « point de transition » de la télédensité. Cet élan et cette croissance suscitent l’optimisme et l’enthousiasme sur les possibilités qui s’ouvrent pour la communication et le développement en Afrique. 

 

Mais cet optimisme repose sur l’existence d’une dorsale nationale et d’une infrastructure de communication internationale en Afrique – en particulier les capacités de portée et de bande passante, ainsi que l’accessibilité et l’offre de tarifs abordables. Cela suppose également la présence préalable de technologies et d’infrastructures de soutien (en particulier l’énergie), ainsi que des aspects de nature plus générale comme les besoins d’information de la population du continent, la façon de créer, d’accumuler et de partager les connaissances et la place de ces phénomènes dans les lois et les politiques internationales qui déterminent de plus en plus la consommation de l’information et des connaissances.

Comment l’Afrique fait-elle fond sur le succès du cellulaire tout en conservant une approche réaliste et pragmatique à l’égard des écarts importants qui continuent de limiter l’avenir de son application?

L’action fondée sur le dialogue politique


« Plus d’une route mène au marché. »
Proverbe yoruba

La façon dont les réseaux de télécom peuvent être développés et réformés pour apporter des avantages économiques et sociaux a fait l’objet de nombreux rapports, comités, forums et sommets. Les décideurs connaissent donc mieux les questions qui touchent au développement de l’infrastructure et il existe une grande quantité de données transnationales et de recommandations sur la façon de résoudre ces questions.

On connaît notamment l’importance de la libéralisation[6]– le succès du cellulaire illustre la façon dont la libéralisation, et la compétitivité qui en découle, peut favoriser les services de télécom (OCDE, 2008). Les pays africains doivent appliquer les principes de la concurrence de façon constante et uniforme dans tous les domaines de leurs secteurs des télécoms. Pour ce faire, il faut éliminer les obstacles qui empêchent la participation du secteur privé à ce secteur et adopter des règlements qui contribuent à favoriser la concurrence sur le marché tout en remédiant à ses échecs, c’est-à-dire les cas où les mécanismes du marché à eux seuls sont insuffisants pour atteindre les résultats que l’on attend des politiques (UIT, 2007a).

La question des résultats attendus des politiques vaut la peine d’être développée. La libéralisation est normalement adoptée en prenant pour hypothèse qu’elle finira par créer un contexte dans lequel les consommateurs pourront choisir parmi de nombreux fournisseurs le produit qui correspond le mieux à leurs besoins et à un prix qu’ils jugent acceptable. Il est peut-être encore trop tôt, mais l’expérience des marchés du cellulaire en Afrique montre que le coût reste une contrainte importante pour les consommateurs. La recherche de LIRNE.NET réalisée dans différentes régions en développement montre que le rôle joué par le cellulaire parmi les groupes financièrement limités reste marginal (Samarajiva, 2006; Galperin & Mariscal, 2007; Gillwald, 2008). Le nouvel environnement continue donc d’être marqué par la persistance des fractures (même si elles sont moins évidentes) – entre les groupes de revenus et les zones géographiques – même dans un contexte libéralisé.

Les résultats que l’on attend des politiques ne sont donc pas atteints, d’où l’appel à l’ouverture des marchés, non seulement aux opérateurs mais également à divers types d’intervenants. Les pays africains doivent revoir leurs politiques et leurs règlements qui limitent ceux qui pourraient offrir d’autres types de télécoms, ou leur imposent des obstacles, et doivent prendre des mesures incitatives pour faciliter la diversité des fournisseurs de services, comme les micro-entreprises de télécoms, les opérateurs communautaires, les coopératives, les gouvernements municipaux, etc.

Le proverbe yoruba « Plus d’une route mène au marché » s’applique littéralement quand on parle de libéralisation. Les pays africains doivent permettre aux opérateurs et aux consommateurs de trouver différents chemins vers leurs marchés de communication. En quoi cela diffère-t-il de ce qui se passe actuellement sur le continent?

Faciliter la diversité et le choix dans l’infrastructure des communications
Le premier centimètre/dernier kilomètre

L’accès aux communications passe par des connexions filaires ou sans fil et par toutes sortes d’appareils : téléphones, télévisions et ordinateurs. En Afrique, les connexions filaires sont en hausse, mais partaient de presque zéro. Dans certains cas, la croissance des lignes fixes s’inverse à mesure que les opérateurs traditionnels, adoptant une approche plus commerciale, abandonnent les débiteurs et que les clients abandonnent les lignes fixes, pas suffisamment fiables. La connectivité par les câbles de fibre – fibre à domicile (FTTH) – que ce soit par les opérateurs de télécommunication, la télévision par câble ou les sociétés de service public, est très peu répandue au point d’être presque non existante dans de nombreux pays africains. La connectivité du dernier kilomètre, qui passe par les chaînes de radiodiffusion comme le satellite et la télévision par câble, est limitée par des coûts prohibitifs et la pénétration de la télévision reste faible sur le continent (UIT, 2007b).

Pourtant, le faible niveau de connexion filaire ne gêne pas vraiment la connexion des usagers puisqu’ils peuvent se connecter au dernier kilomètre par les technologies sans fil. D’autres régions du monde (Asie du Sud et Amérique du Sud) montrent comment ces technologies – en particulier l’accès multiple par répartition de codes (AMRC) – servent à étendre les réseaux filaires. Cependant, la mesure dans laquelle ces technologies sans fil se sont développées dans les pays africains et les investissements nécessaires pour en faire des éléments viables de fourniture de services de communication (y compris l’internet) restent des sources de préoccupation.

Le CDMA Development Group estime que seulement 26 pays africains ont des réseaux commerciaux ARMC. Outre le coût élevé du déploiement et des appareils terminaux, la croissance des réseaux sans fil en Afrique est également limitée par la domination de la norme GSM. Il faut donc prendre soin de maintenir la souplesse du cadre réglementaire (en particulier pour l’attribution du spectre) et de faire en sorte que les politiques restent technologiquement neutres (par exemple en éliminant les contraintes qui influent sur les types d’équipement que l’on utilise pour déployer les réseaux). Il faut également tenter de réduire les ambigüités en matière de licences auxquelles sont confrontés les opérateurs sans fil – en particulier au niveau communautaire et à petite échelle (FMFI, 2008).

Réseaux de dorsales nationales

Pour faire la promotion des réseaux sans fil du dernier kilomètre, il faut qu’il existe un réseau de dorsales nationales filaires viable et généralisé. Ces réseaux – également appelés réseaux de dorsales – facilitent l’adoption des services qui nécessitent une bande passante de grande capacité et des débits élevés (comme l’internet). Lorsqu’ils existent, ce sont souvent eux qui offrent les services les moins chers. Une recherche d’APC montre que les fournisseurs de service passent du satellite (sans fil) aux réseaux de fibre (filaire) lorsqu’ils existent (Jagun, 2008).

Toutefois, peu de pays africains, pour diverses raisons – qui vont de la topologie géographie au sous-investissement en passant par la destruction pendant les conflits – possèdent d’importants réseaux nationaux. Même avec les obligations de service universel inscrites dans la plupart des licences de GSM et, le cas échéant, dans la licence du deuxième opérateur national, les modèles commerciaux de développement de réseau ont conduit à une concentration des infrastructures dans les régions urbaines, les opérateurs comptant sur l’opérateur historique pour interconnecter les régions. C’est donc l’opérateur historique – agissant dans un régime monopolistique et essentiellement étatique – qui possède le plus souvent le réseau national le plus étendu. Pourtant, ces réseaux souffrent d’un sous-investissement et sont vulnérables au vandalisme, tout en ayant à desservir un large éventail d’opérateurs et souvent, à respecter des obligations de service public eux-mêmes.

Il n’est donc pas surprenant que les études de faisabilité réalisées par l’UIT en 2005 aient conclu que l’Afrique a besoin au minimum de 52 000 kilomètres supplémentaires de dorsales pour assurer la connectivité à l’intérieur des pays et entre les pays (UIT, 2007c). Le tableau 1 montre cette ventilation par région.

 

Tableau 1 : Infrastructure de dorsale requise (en kilomètres)

Afrique
centrale

Afrique
du Nord

Afrique
de l’Ouest

Afrique de l’Est
et du Sud

Total

15,950

2,200

19,330

14,560

52,040

Source : La connectivité en Afrique (UIT, 2007c, p. 4)

 

Pour en arriver à ce niveau d’amélioration des infrastructures, il faut non seulement moderniser le réseau de l’opérateur historique mais également restructurer le secteur des télécoms pour attirer les investissements (privés) de manière à augmenter le nombre et le type d’acteurs dans ce segment du marché. Accorder une licence au deuxième opérateur national et encourager la participation d’autres acteurs que les télécoms – compagnies de service public et de transport (électricité, route, rail, eau et lorsqu’ils existent, les pipelines) – sont des mesures qui permettront de créer les dorsales et d’instaurer la concurrence nécessaire. On en arrivera probablement à une diversité d’acteurs et de réseaux se connectant à l’échelle nationale au moyen de diverses technologies – ondes radio, micro-ondes, cuivre et, de plus en plus, la fibre. L’interconnexion et l’interopérabilité resteront donc les principaux enjeux pour l’avenir, malgré certains problèmes pour lesquels il va falloir renforcer les capacités des régulateurs.

Dorsales régionales et internationales

Pour intensifier la connectivité d’un pays, il faut améliorer la portée et la profondeur de l’accès du dernier kilomètre et des réseaux nationaux. Mais la communication dépasse les frontières nationales et tant le coût élevé que la mauvaise qualité des communications internationales sont des aspects auxquels les pays africains doivent également s’intéresser. Deux grandes questions interdépendantes valent la peine d’être soulignées ici : la première concerne l’existence d’une connexion physique vers les réseaux internationaux et la deuxième consiste à savoir qui peut légalement construire ces réseaux ou y accéder directement  et quels services ils peuvent légalement fournir.

Pour ce qui est de l’infrastructure physique, l’Afrique, par rapport à d’autres régions du monde, manque d’infrastructures de communication internationale. Bien que « chaque mètre carré de l’Afrique soit couvert par la bande passante par satellite » (CRDI, 2005), les marchés du satellite dans la plupart des pays restent monopolistiques ou duopolistiques et font l’objet de frais de licence élevés et de conditions d’exploitation restrictives. Outre le satellite, l’Afrique se tourne également vers les câbles sous-marins de fibre optique. Ces réseaux de câble sont confrontés aux mêmes difficultés que les réseaux par satellite, mais croisent en plus plusieurs frontières nationales et doivent répondre aux conditions d’exploitation de chaque pays. En raison du manque d’harmonisation dans les politiques et les règlements, ce qui est permis dans un pays peut être interdit dans un autre, d’où un aspect dissuasif important au développement de ces réseaux.

 

Il n’existe actuellement qu’un seul câble sous-marin assurant un accès international en Afrique : le très critiqué[7]câble sous-marin de l’Afrique de l’Ouest et de l’Atlantique Sud 3 (SAT-3/WASC). Mais d’autres projets sont prévus (voir figure 2). Leur contribution au règlement des problèmes de connectivité de l’Afrique sera limitée si certaines questions récurrentes ne sont pas réglées : comportement anti-concurrentiel et monopolistique des opérateurs, obstacles réglementaires (particulièrement les licences) qui limitent la participation aux projets d’infrastructure et absence d’harmonie dans les lois et les politiques entre les pays.

Les enjeux sont nombreux dans une société de plus en plus axée sur l’information. Une étude de la bande passante internet internationale disponible dans les pays africains illustre la gravité de la situation. En 2006, la disponibilité de la bande passante en Afrique se situait à 28 177 mégabits par seconde, moins de 1 p. 100 du montant disponible dans le monde. Par comparaison, cette même année, la Norvège avait 43 091 mégabits par seconde de bande passante – environ une fois et demi de plus que toute l’Afrique (UIT, 2007b). Voilà un cas où la comparaison entre l’ensemble du continent et un pays reste dramatique.

 

Références

 

CRDI (Centre de recherches pourle développement international),Acacia Atlas 2005: Mapping African ICT Growth,Ottawa, CRDI, 2005. Voir à :
www.idrc.ca/uploads/user-S/11836495021Acacia_Atlas_2005.pdf

Esselaar, S., Gillwald, A. et Stork, C.,Towards an African e-Index 2007: Telecommunications Sector Performance in 16 African Countries. Research ICT Africa (RIA), 2007.

FMFI (First Mile First Inch):www.fmfi.org.za

Galperin, H. et Mariscal, J.,Mobile Opportunities: Poverty and Mobile Telephony in Latin America and the Caribbean.Diálogo Regional sobre Sociedad de la Información (DIRSI), 2007.

Gillwald, A., From Geneva to Tunis to Cairo:How far have we come? Présentation à l’ITU Telecom Africa, le Caire, Égypte, 12-15 mai, 2008.

GSMA (GSM Association),Mobile Investment Africa, 2008. Voir à:
www.gsmworld.com/documents/digitaldivide/gsma_africa_magazine.pdf

Jagun, A.,The Case for “Open Access” Communications Infrastructure in Africa: The SAT-3/WASC cable (Briefing),Glasgow, APC, 2008. Voir à :www.apc.org

Kelly, T., Changing ICT Rankings of African Nations.The Southern African Journal of Information and Communication, Issue 5, 2005.
Voir à:link.wits.ac.za/journal/j05-kelly-ict-rankings.pdf

OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), 2008,Les possibilités de développer l’accès à l’internet dans le monde,Paris, Direction de l’OCDE pour la science, la technologie et l’industrie et la Direction de la coopération pour le développement.
Voir à:www.olis.oecd.org

Samarajiva, R., Preconditions for Effective Deployment of Wireless Technologies for Development in the Asia-Pacific.Information Technology and International Development, 3(2), pp. 55-71, 2006.

UIT (Union internationale des télécommunications) ICT Statistics Database. Voir à :www.itu.int/ITU-D/ICTEYE/Indicators/Indicators.aspx

UIT,The Missing Link,Genève, UIT, 1985. Voir à:
www.itu.int/osg/spu/sfo/missinglink/The_Missing_Ling_A4-E.pdf

UIT,Rapport sur le développement mondial des télécommunication : Accès universel. Genève, UIT, 1998.
Voir à:www.itu.int/ITU-D/ict/publications/wtdr_98/wtdr98-fr.pdf

UIT,World Information Society Report 2006. Genève, UIT, 2006.

UIT, Creating an Enabling Environment for Investment. Background paper for Session Five, Connect Africa Summit, Kigali, Rwanda, 29-30 octobre, 2007a. Voir à :
www.itu.int/ITU-D/connect/africa/2007/summit/pdf/s5-backgrounder.pdf

UIT,Telecommunication/ICT Markets and Trends in Africa 2007. Genève, UIT, 2007b. Voir à:  www.itu.int/ITU-D/ict/statistics/material/af_report07.pdf

UIT, Connectivity in Africa. Project proposal, 2007c.
Voir à:www.itu.int/infrastructure/REM/project-proposal.doc

UIT,World Information Society Report 2007. Genève, UIT, 2007c.


Notes de bas de page

[1]Comme c’était le cas dans la statistique fréquemment citée du rapport Maitland qui comparait le nombre de téléphones de Tokyo à la télédensité en Afrique: « Tokyo a plus de téléphones que l’ensemble du continent africain, avec sa population de plus de 500 millions d’habitants » (UIT, 1985, p.13).

[2]La télédensité se mesure par le nombre de téléphones pour 100 habitants. C’est une des mesures de base de l’infrastructure des TIC d’un pays.

[3]À ce niveau de télédensité, la majorité des foyers et presque toutes les entreprises ont accès aux télécoms.

[4]Le chiffre renvoie aux économies développées de l’Asie-Pacifique.

[5]Mesuré en “lignes fixes ou utilisateurs de mobile – selon le chiffre le plus élevé – pour 100 habitants” (Kelly, 2005).

[6] Définie comme l’ouverture des marchés à plusieurs acteurs.

[7]Le SAT-3 est critiqué pour son exploitation du marché et a déjà fait l’objet d’interventions judiciaires et réglementaires dans certains pays où il a une station d’atterrissage.

 

 

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