Information et modes de subsistance

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GISWatch 2009 Information Subsistance 53.46 KB

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Centre for Internet and Society, Bangalore, India

 

Introduction

Nous vivons dans un monde divisé où beaucoup trop de gens vivent dans une pauvreté extrême. Il faut aider ces gens à sortir de la pauvreté pour le bien du monde en général dans la mesure où les grandes disparités de richesse conduisent à la violence et au terrorisme et où personne ne peut vivre en paix et en harmonie. Aucun des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ne peut être atteint si nous ne réglons pas le problème de la pauvreté et si nous n’assurons pas la sécurité de subsistance pour la majorité des pauvres.

La grande majorité des pauvres vit dans les régions rurales des pays en développement et dépendent de l’agriculture ou de la pêche. Ils ont besoin d’informations directement adaptées à leurs modes de subsistance. Les informations sur l’agriculture sont souvent une nécessité immédiate puisque l’agriculture à petite échelle est essentielle aux revenus des ménages dans les régions rurales. Les informations sur les prix des récoltes, des engrais et des pesticides et sur la disponibilité de semences améliorées et l’amélioration à faible coût de la technologie agricole peuvent aider les agriculteurs à acheter des intrants et de l’équipement de bonne qualité au bon prix ou les aider à obtenir un crédit[1]. Les informations sur les indemnités et les programmes de formation du gouvernement, sur les possibilités de développer de nouveaux produits et sur les marchés des produits écologiques[2] sont également utiles. Sans ces informations, les familles pauvres ont du mal à tirer avantage des nouvelles possibilités de création de revenus et d’augmentation de leurs actifs.

De nombreux pauvres qui ne possèdent aucun bien migrent vers les villes où ils sont constamment à la recherche de travail sur les chantiers de construction, dans les ports, les usines et partout où ils peuvent être employés. Ils sont souvent exploités et travaillent dans des conditions loin d’être satisfaisantes. Ils seraient heureux d’avoir des informations sur les offres d’emploi et les propositions de bons salaires.

Ce rapport présente quelques exemples qui montrent comment l’accès à l’information contribue à améliorer la vie des gens et comment les nouvelles technologies servent à fournir des informations à ceux qui en ont besoin.

Petite pêche mais gros impact

Il y a environ 12 ans, des scientifiques du M S Swaminathan Research Foundation (MSSRF) ont commencé à travailler avec des villages de pêcheurs sur les côtes du sud de l’Inde. Le principal objectif du projet, financé par le Centre de recherche pour le développement international (CRDI), consistait à voir comment on pouvait utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC) pour améliorer la vie de ces gens. Mais les responsables du projet ont adopté une perspective globale en donnant la priorité aux gens et à leurs besoins plutôt qu’à la technologie : ils ont créé les centres de savoir des villages (CSV), qui ne se limitent pas au simple accès à l’information. Ils avaient constaté que les pêcheurs perdaient leurs prises, leurs filets, leurs bateaux et même leur vie lorsque la mer était difficile. Or, il était possible de sauver des vies en fournissant à l’avance des données sur les conditions météorologiques. Après enquête, les chercheurs du MSSRF ont découvert que les satellites de la marine des États-Unis recueillaient des données sur la météorologie et la hauteur des vagues pour la Baie du Bengale et que le site web de la marine diffusait des prévisions à partir de ces données deux fois par jour. Les bénévoles des CSV ont alors commencé à télécharger ces informations et à les ont transmettre aux pêcheurs dans leur langue locale au moyen de bulletins et d’un système de diffusion publique. Depuis que ce service a été mis en place, aucun décès en mer n’a été signalé dans ces villages.

Besoin d’innovation

Or la marine américaine a soudain cessé de fournir ces informations. Il fallait donc faire quelque chose. Le MSSRF a collaboré avec Qualcomm, Tata Teleservices et Astute Systems Technology[3], qui ont trouvé une application mobile originale appelée Fisher Friend fondée sur la technologie d’accès multiple par répartition en code (ARMC de troisième génération). Avec Fisher Friend, les CSV offrent aux pêcheurs des données en temps réel sur les prix du poisson dans différents marchés, sur la météo, la hauteur des vagues, ainsi que des données par satellite sur l’emplacement des bancs de poisson et des bulletins pendant qu’ils sont en mer. L’accès à ces informations et à d’autres, comme les programmes publics pertinents, a amélioré la transparence du marché et les gains des petits pêcheurs. Qualcomm cherche à incorporer la capacité de GPS dans les téléphones de manière à suivre leur emplacement exact et faciliter ainsi les opérations de sauvetage.

Outre l’amélioration du niveau de vie d’un village, l’accès rapide à des informations utiles peut sauver des vies.

Des preuves réelles et pas juste des anecdotes

Une bonne partie des preuves des avantages de l’accès à l’information et de l’utilisation de la technologie pour faciliter l’accès a été jusqu’ici anecdotique. Dans un document récent du Quarterly Journal of Economics, Robert Jensen de l’Université Harvard a quantifié ces avantages[4]. Il a montré que l’adoption des téléphones mobiles par les pêcheurs et les grossistes de Kerala dans l’Inde du Sud avait conduit à une réduction considérable de la dispersion des prix (le coefficient moyen de la variation des prix entre les marchés sur 150 kilomètres a diminué de 60-70 % à moins de 15 %), à l’élimination complète du gaspillage (de 5 à 8 % à presque rien) et à un respect presque parfait de la loi du prix unique[5]. De plus, les profits des pêcheurs ont augmenté de 8 % alors que les prix à la consommation ont diminué de 4 % (créant directement un excédent de 20 roupies par personne et par mois, l’équivalent d’une augmentation de 2 % du PIB par habitant pour ce seul marché). La consommation des sardines a augmenté de 6 %. L’arrivée des téléphones mobiles a également conduit à une augmentation de 6 % des inscriptions scolaires et de 5 % de la probabilité d’utiliser les soins de santé. Tout cela sans programmes gouvernementaux et sans financement supplémentaire[6].

Plusieurs autres initiatives font également appel à la technologie mobile. Nokia a récemment lancé Life Tools in India, un service tarifé visant à influer sur la vie quotidienne des gens, en particulier les agriculteurs. Life Tools offre un accès en ligne à des informations susceptibles d’être de grande utilité pour les agriculteurs, les étudiants et le public en général. Nokia a conclu un partenariat avec le Maharashtra State Agricultural Marketing Board (pour recueillir les prix des produits sur 291 marchés), Reuters Market Light, Syngenta et Skymet[7], entre autres. Il a l’intention d’introduire Life Tools dans d’autres pays en développement avant la fin de l’année.

L’accès en ligne à l’information par téléphone mobile et dans les télécentres a également aidé les commerçants, les négociants et les travailleurs autonomes de nombreux pays à augmenter leur revenu. Le téléphone mobile est en train de devenir le principal outil de connectivité. Vu l’importance de son potentiel informatique, il sera bientôt le principal outil de connexion internet, offrant des informations sous une forme portative et connectée à un prix relativement faible et reléguant dans l’oubli l’ordinateur personnel.

Conclusion

Aujourd’hui, les trois quarts de la population mondiale la plus pauvre représentent au moins 50 % de tous ceux qui ont accès à l’internet, selon un rapport Pew[8]. Comme Turner l’a fait remarquer en 2007, l’investissement dans les télécoms qui facilitent l’accès à l’information est le plus productif de tous[9]. Son impact est particulièrement évident dans les pays en développement.

Les TIC ne sont pas une solution technique en soi, mais un outil pour la hiérarchisation et la résolution de problèmes locaux. Ce rapport a mis de l’avant des initiatives qui utilisent la technologie mobile. Mais ce ne sont bien entendu pas les seules à être utiles. Par exemple, LabourNet au Bangalore connecte des employeurs et des ouvriers temporaires par une base de données en ligne constamment mise à jour[10]. Grâce à LabourNet, les travailleurs, en particulier sur les chantiers de construction, obtiennent un salaire décent, une formation, une assurance et des mesures de sécurité au travail. Mais l’information fournie se situe davantage au niveau administratif qu’au niveau de la base.

Le succès repose sur l’adoption d’une approche globale à l’égard des TIC qui comprend un large éventail d’initiatives de développement. Il s’agit de ne pas mettre de l’avant la technologie, mais les personnes et leurs besoins. Les approches concernant les modes de subsistance durables doivent être axées sur les personnes, tenir compte des actifs des pauvres et de l’influence des politiques et des institutions sur leurs stratégies de subsistance[11].

De plus, la simple capacité d’accéder à l’information n’est pas suffisante. Ce qui est important est ce que l’on en fait. Il faudrait bien souvent des compétences et du capital supplémentaires pour en tirer profit. C’est pourquoi les efforts visant à améliorer l’accès à l’information devraient être conjugués à ceux qui visent l’amélioration des compétences par des programmes de formation et l’amélioration de l’accès au financement grâce au micro-financement et à la création de groupes d’entraide.

Les modes de subsistance ruraux impliquent un large éventail de stratégies à l’intérieur et à l’extérieur du secteur agricole. Les villages ont souvent besoin d’augmenter leur revenu par des activités non agricoles et c’est là où les femmes et les jeunes peuvent jouer un rôle en améliorant le revenu des ménages.

Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de projets pilotes utilisant les TIC en sont restés à ce stade, des projets pilotes qui n’ont abouti à rien.

Références

Chapman, R., Slaymaker, T. et Young, J., Livelihoods Approaches to Information and Communication in Support of Rural Poverty Elimination and Food Security, Overseas Development Institute, Londres, 2003.

Chapman, R., ICT enabled knowledge centres and learning in the global village, in The Third MSSRF South-South Exchange Travelling Workshop(MSSRF/PR/05/59), M S Swaminathan Research Foundation, Chennai, 2005.

Jensen, R., The digital provide: Information (technology), market performance, and welfare in the South Indian fisheries sector, Quarterly Journal of Economics, 122 (août), p. 879-924, 2007.

Quitney Anderson, J. et Rainie, L., The Future of the Internet III, Pew Internet and American Life Project, Washington, 2008. www.future-internet.eu/fileadmin/documents/prague_documents/oc-meetings…

 

[1] Chapman, R., Slaymaker, T. et Young, J.,  Livelihoods Approaches to Information and Communication in Support of Rural Poverty Elimination and Food Security, Overseas Development Institute, Londres, 2003.

[2] Les produits de l’artisanat fabriqués à partir de matériaux disponibles localement (à base de plantes ou de minéraux) sont de bons exemples de biens écologiques, de même que les produits organiques.

[3] Qualcomm est une multinationale états-unienne qui conçoit et fabrique des puces pour l’équipement de télécom. Tata Teleservices est un grand fournisseur de services mobiles et Astute Systems Technology est une entreprise de logiciels qui rédige des applications pour les puces.

[4] Jensen, R., The digital provide: Information (technology), market performance, and welfare in the South Indian fisheries sector, Quarterly Journal of Economics, 122 (août), p. 879-924, 2007.

[5] Une loi économique qui énonce que dans un marché efficace, tous les biens identiques ne doivent avoir qu’un prix. Autrement dit, les variations dans les prix du poisson selon l’endroit, causées par des différences dans la demande et l’offre, ont disparu une fois que les acheteurs et les vendeurs ont commencé à utiliser les téléphones mobiles.

[6] Turner, B.,  Cellphones & Development — Evidence, not anecdotes, 2007. blogs.nmss.com/communications/2007/02/cellphones_deve.html

[7] Syngenta est une compagnie multinationale. Un de ses objectifs est d’aider les agriculteurs à maximiser le potentiel de leurs ressources. Pour ce faire, elle offre des solutions technologiques et des informations sur l’agronomie, l’utilisation foncière, etc. Skymet offre des services météo qui permettent aux clients de s’adapter aux différents environnements.

[8] Quitney Anderson, J. et Rainie, L., The Future of the Internet III, Pew Internet and American Life Project, Washington, 2008. www.future-internet.eu/fileadmin/documents/prague_documents/oc-meetings…

[9] Turner (2007) op. cit.

[10] LabourNet fait correspondre les compétences des personnes qui peuvent travailler avec les besoins de ceux qui utilisent leurs services, tout comme les chasseurs de tête qui font correspondre les compétences des cadres moyens et supérieurs aux bonnes entreprises et aux bons niveaux, sauf que LabourNet s’occupe seulement des pauvres.

[11] Chapman et autres, op. cit., 2003