Droits au savoir

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The OpeningScholarship Project, Centre For Educational Technology, University of Cape Town

 

Dans l’ensemble, 2008-2009 a marqué un progrès remarquable dans l’adoption de politiques et dans les interventions en faveur de l’accès au savoir à tous les niveaux – parmi les organismes internationaux, gouvernements nationaux et institutions du monde développé et en développement[1].

Accès à la recherche médicale

Certaines des activités les plus importantes de l’an dernier concernant l’accès au savoir se retrouvent dans le secteur de la santé publique, où la prise de conscience de l’importance de l’accès ouvert à la recherche publique et du prix en vies humaines dû aux tarifs élevés des systèmes propriétaires a ouvert la voie à des approches plus ouvertes à l’égard de l’information sur la santé, en particulier dans les pays en développement.

À la mi 2009, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), après un long débat, a adopté la Stratégie mondiale et le Plan d’action sur la santé publique, l’innovation et la propriété intellectuelle[2] qui vise à « établir... une base améliorée et durable pour une recherche et développement sur la santé essentielle axée sur les besoins, applicable aux maladies qui affectent de façon disproportionnée les pays en développement, proposant des objectifs et des priorités clairs de recherche et développement ». Elle prévoit notamment l’utilisation des logiciels libres, l’accès ouvert aux publications et aux données de la recherche, l’offre volontaire de l’accès aux principes actifs[3], des licences ouvertes et des communautés de brevets volontaires.

Vers la fin de 2007, le Congrès américain a voté en faveur de l’adoption par les instituts nationaux de santé des États-Unis (NIH) d’un mandat d’accès ouvert pour la recherche financée par les instituts. Le NIH, dont le budget est de 29,2 milliards USD, est le premier bailleur de fonds au monde pour la recherche non confidentielle[4] et ses subventions de recherche donnent lieu à 80 000 articles revus par les pairs par an. Selon le nouveau modèle, les documents font l’objet d’un embargo allant jusqu’à douze mois, mais les bénéficiaires sont obligés de se conformer au mandat d’accès ouvert lorsqu’ils publient les résultats de leur recherche, en présentant une copie électronique de leurs dernières publications de recherche dans PubMed Central, des archives numériques gratuites des revues biomédicales et des sciences de la vie.

Ce modèle suit celui établi en 2006 par le Wellcome Trust, le plus gros bailleur de fonds pour la recherche biomédicale privée du Royaume-Uni.

Mesures des gouvernements nationaux

En janvier 2008, le Conseil de recherche européen (ERC) est devenu le premier organisme de financement de l’Union européenne (EU) à adopter un mandat d’accès ouvert, qui s’applique aux fichiers de données ainsi qu’aux articles revus par les pairs. L’ERC dépense environ 7,5 milliard d’euros par an, soit 15% du budget de recherche de l’UE, pour son programme de recherche appelé FP7 (2007-2013)[5], illustration d’une volonté croissante des États de l’UE de soutenir les politiques d’accès au savoir, comme en témoigne un vote des 27 premiers ministres de l’UE.

Douze autres organismes de financement public en Europe et au Canada ont également adopté les mandats d’accès ouvert en 2008. Au Canada, en Irlande, en Australie, en France et à Hong Kong, pour ne nommer que quelques pays, des mesures ont été prises en faveur des politiques sur l’accès à la recherche publique. La connaissance et l’usage des mandats d’accès ouvert parmi les bailleurs de fonds privés ont également augmenté : Autism Speaks, la MacArthur Foundation et la Moore Foundation ont tous adopté l’accès ouvert comme modèle de publication.

Ces évolutions montrent que les grands organismes de financement de la recherche acceptent le fait que les contribuables fournissent des milliards de dollars pour la recherche publique chaque année et que la communication générale des résultats est une composante essentielle de l’investissement dans les sciences. La communication généralisée et plus rapide du savoir alimente le progrès des sciences et donc le retour de la santé et des avantages économiques et sociaux à la population[6]. Même si l’embargo de douze mois qu’applique le NIH est loin d’être parfait et que la politique de non-embargo du Wellcome Trust et d’autres serait davantage dans l’esprit de l’accès ouvert, le fait que des informations essentielles comme la recherche du NIH soient communiquées est une étape importante.

Universités

La réaction la plus connue et la plus influente quant à l’accès à la recherche, qui a créé des remous dans le monde universitaire et a été par la suite largement imitée, est venue de la faculté des arts et des sciences de Harvard, qui a adopté un mandat d’accès ouvert en février 2008, à un moment où il existait déjà douze mandats d’accès ouvert universitaires dans le monde. Trois mois plus tard, l’école de droit de Harvard votait à l’unanimité son propre mandat d’accès ouvert. En réaction au mandat de Harvard, l’école d’éducation de Stanford acceptait une proposition de mandat et en votait immédiatement l’adoption.

Depuis l’annonce de Harvard au début de 2008, treize autres universités, dont Southampton, l’Université de Glasgow, l’Université de Helsinki et l’Université de Tasmanie ont également annoncé des mandats d’accès ouvert, soit plus qu’au cours de l’ensemble des années précédentes.

En Afrique du Sud, l’Université de Pretoria a annoncé au début de 2009 qu’elle avait adopté un mandat, voté à l’unanimité par son sénat, pour le dépôt en accès ouvert des publications de toutes les matières de son répertoire. Il s’agit de la première université africaine à adopter un mandat de ce genre.

Tout cela illustre le fait que les grandes universités dans le monde prennent au sérieux les possibilités stratégiques offertes par les communications en accès ouvert. Elles reconnaissent en effet la mission de communication plus large que celle offerte par la publication universitaire traditionnelle, en particulier le potentiel de l’université de s’acquitter de sa mission publique et pas seulement de faire valoir sa réputation savante. Comme le dit Catherine Candee, la directrice exécutive de Strategic Publishing and Broadcast Initiatives de l’Université de Californie :

La publication et la communication améliorent le savoir, non seulement d’universitaire à universitaire mais également d’universitaire à étudiant ainsi qu’à la population. Dans le monde numérique, il n’y a aucune raison de planifier la communication d’universitaire à universitaire sans réfléchir aux moyens d’améliorer la … création du savoir et la production scientifique de l’université pour le grand public. Il ne s’agit pas seulement de l’intérêt et du bien publics – les universités doivent répondre aux défis de la société moderne. Et c’est par l’existence d’un système de publication et de communication adéquat qu’elles y arriveront[7].

Publications universitaires

Traditionnellement, l’édition universitaire a été dominée par une industrie de l’édition commerciale mondialisée qui a concentré le contrôle de l’édition de la recherche entre de moins en moins de mains, en dehors des universités, et qui contrôlent le système d’évaluation dominant de l’excellence universitaire[8].

La valeur de la plupart des chercheurs scientifiques dans le monde est mesurée par le nombre de leurs publications et par la qualité des publications, qui dépend des citations – le nombre de fois où le travail est cité par les pairs. Les articles qui paraissent dans les grandes revues sont plus susceptibles d’être cités, si bien que la vie scientifique tourne autour de la recherche de publications dans les revues élitistes ayant le plus d’impact et les rendements les plus élevés, selon une évaluation effectuée par un éventail complexe de mesures. Le facteur d’impact des revues est calculé en divisant le nombre de citations qu’une revue reçoit au cours d’une année donnée par le nombre d’articles jugés dignes d’être cités les deux années précédentes[9].

Cette méthode a eu pour conséquence une concentration de la recherche dans le Nord, en raison de l’application du principe des « principales revues» qui sous-tend la création de l’indice des citations de l’ISI (Institut des sciences de l’information)[10]. Selon ce principe, les bibliothèques sont informées qu’elles peuvent ne s’abonner qu’à un nombre limité de revues. Naturellement, ces revues principales sont celles qui rendent compte des travaux des centres d’information les plus puissants – et non des 80% du monde que les pays en développement constituent. Le système de prestige (décrit ci-dessus) qui s’est créé a naturellement encore aggravé cette tendance. Dans ce système commercial, le prix élevé des abonnements et les modèles de droit d’auteur fermés ont limité l’accès à ce savoir, en particulier dans les pays du Sud.

Mais en réaction, on a constaté une énorme croissance de l’accès ouvert en 2008 dans le secteur de l’édition universitaire : les revues et répertoires en accès ouvert ont proliféré plus rapidement que l’année précédente. Le Répertoire des revues en accès ouvert a atteint 812 revues examinées par les pairs, soit 27%, en 2008. Alors qu’en 2007, 1,4 titre était ajouté chaque jour,  en 2008 ce chiffre était passé à 2,2 titres par jour.

L’achat par Springer de l’éditeur de revues en accès ouvert Biomed Central, a constitué un événement marquant car il montre qu’un grand éditeur universitaire commercial est conscient de la viabilité d’une entreprise d’édition de revues en accès ouvert.  

L’édition en accès ouvert renforce également le potentiel de collaboration régionale sud-sud dans le développement de revues en accès ouvert, qui a franchit un grand pas avec la Bibliothèque scientifique numérique en ligne (SciELO) du Brésil, une bibliothèque virtuelle contenant une collection de revues scientifiques latino-américaines, en collaboration avec l’Académie des sciences de l’Afrique du Sud. Les revues sud-africaines en accès ouvert seront hébergées sur la plateforme SciELO en faisant appel au système de métaréférençage développé par SciELO qui permet de suivre les niveaux régionaux et nationaux de citations.

Pour les ouvrages universitaires, 2008 a été l’année de la généralisation de l’édition en accès ouvert : Amsterdam, Athabasca, Caltech, Columbia, la Universidad Católica Argentina, la American Veterinary Medical Association, le Forum for Public Health in South Eastern Europe et l’Institut français du Proche-Orient ne sont que quelques exemples de presses universitaires qui ont lancé des publications en accès ouvert. En Inde, Goa1556 Press, lancé en 2007, a publié ses premiers livres en accès ouvert en 2008, en collaboration avec un certain nombre de consortiums de presses universitaires dans le monde.

Pendant un certain nombre d’années, le Human Sciences Research Council (HSRC) Press de l’Afrique du Sud a été un pionnier de l’édition de livres mixtes en accès ouvert et voit maintenant ses livres téléchargés dans tous les pays du monde. Il est révélateur qu’un grand éditeur britannique comme Bloomsbury, l’éditeur de Harry Potter, ait imité ce modèle avec le lancement de Bloomsbury Academic, une indication que l’idée de l’accès au savoir se répand.

Finalement, le président Barack Obama devrait probablement soutenir une approche plus ouverte à l’égard de l’accès au savoir, après un discours percutant à la National Academies of Science[11]. D’autre part, la présence de partisans de l’accès ouvert dans des postes clés et la création du nouveau Conseil des conseillers en sciences et technologie du président semblent indiquer que s’ouvre une période de plus grande acceptation des droits d’accès au savoir financé par les fonds publics dans le monde.

Contrecoup

Le mouvement de l’accès ouvert a suscité des réactions, en particulier aux États-Unis. En septembre 2008, le membre du Congrès américain John Conyers soutenu par le lobby de l’édition, a présenté un projet de loi pour renverser le mandat d’accès ouvert du NIH et interdire à tous les autres organismes fédéraux d’adopter des politiques semblables. La loi Fair Copyright in Research Works Act suggère que la politique du NIH viole la loi sur le droit d’auteur. Le projet de loi n’a pas survécu à la dernière session du Congrès, mais devrait être présenté à nouveau lors de la nouvelle session. Parmi les partisans de l’accès ouvert, la Rockefeller University Press, la AIDS Vaccine Advocacy Coalition, sept grandes associations de bibliothèques, 46 professeurs de droit et 33 lauréats américains du prix Nobel en sciences ont été de ceux qui ont œuvré contre le projet de loi. C’était la troisième fois depuis 2004 que plus de 25 lauréats américains du prix Nobel écrivaient une lettre collective au Congrès pour soutenir la politique du NIH[12].

[1] L’étude annuelle de l’accès ouvert par Peter Suber dans son numéro de janvier de Open Access Newsletter a été une source d’information précieuse pour cet aperçu. Voir: www.earlham.edu/~peters/fos/newsletter/01-02-09.htm

[2] apps.who.int/gb/ebwha/pdf_files/A61/A61_R21-en.pdf

[3] Lorsque de nouveaux médicaments sont conçus ou découverts, les principes actifs désignent les composés chimiques dont les structures chimiques servent de point de départ aux modifications chimiques afin d’améliorer l’efficacité, la sélectivité ou les paramètres pharmacocinétiques. Ces composés actifs se trouvent souvent dans les criblages à haut débit (« touche ») ou sont des métabolites secondaires de sources naturelles.

[4] Non confidentiel désigne dans ce cas toute recherche que l’on peut communiquer et qui ne fait pas l’objet d’un embargo.

[5] Le Seventh Framework Programme (FP7) regroupe toutes les initiatives européennes de recherche dans le cadre d’un programme commun.

[6] Terry, S., The public’s right to research, Open Access Scholarly Information Sourcebook, 8 juin, 2009. www.openoasis.org/index.php?option=com_content&view=article&id=547&Item…

[8] Guédon, J-C., Open Access and the Divide Between "Mainstream" and "Peripheral" Science, dans Ferreira, S. et Targino, M. (éd.), 2007. Como gerir e qualificar revistas cientificas. eprints.rclis.org/12156

[9] Corbyn, Z., A threat to scientific communication, Times Higher Education, 13 août, 2009. www.timeshighereducation.co.uk/story.asp?sectioncode=26&storycode=40770…

[10] Guédon (2007) op. cit.

[11] Revkin, A., Obama’s Call to Create, Not Just Consume, The New York Times, 27 avril, 2009. dotearth.blogs.nytimes.com/2009/04/27/obamas-call-to-create-not-just-consume

[12] Suber, P., SPARC Open Acces Newsletter (129), 2 janvier, 2009. www.earlham.edu/~peters/fos/newsletter/01-02-09.htm