Espagne

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Pangea

 

Introduction

Les technologies de l’information et de la communication (TIC) constituent un marché de convergence d’industries, de producteurs et consommateurs, mais également un espace public où les citoyens et organisations vivent et communiquent. Malgré l’énormité du marché des TIC et le fait qu’il implique une grande partie de la population, l’espace public des TIC en tant que structure sociale où les citoyens et les organisations exercent le droit de communiquer est fragile et sous-développé. Dans ce contexte, ce rapport s’intéresse au caractère adéquat de la technologie et à la pertinence à niveau local du contenu, des applications et des services.

Accès à la technologie

L’accès aux TIC est largement répandu en Espagne (Atkinson et autres, 2008 ; OCDE, 2008), mais la qualité varie considérablement entre régions urbaines et rurales. Dans les régions urbaines, en particulier dans les grandes villes, plusieurs opérateurs offrent l’accès internet voix et haut débit de bonne qualité, alors que les régions rurales ont des options plus limitées, une moins bonne qualité voire parfois pas d’accès du tout. Le marché des services de TIC est dominé par l’ancien opérateur monopolistique Telefónica – qui exploitait 81,8 % des lignes fixes en 2006, selon la Commission du marché des télécommunications (CMT) – et la concurrence est particulièrement précaire dans les régions peu peuplées. Bien qu’il existe des institutions qui surveillent et régulent le marché, ainsi que des organisations qui défendent les droits des particuliers ou de certains groupes (musiciens et autres créateurs de contenus professionnels), le monopole de fait de Téléfónica est bien établi face à une concurrence limitée et artificielle entre les fournisseurs de services. En outre, la qualité des services de TIC est controversée, en particulier chez les opérateurs de la téléphonie et d’internet, qui font l’objet de nombreuses plaintes.

L’accès internet bas débit et la téléphonie bon marché, équivalant à une connexion sur une ligne téléphonique, est pratiquement la norme sauf dans les régions les plus éloignées. La technologie d’accès à l’internet haut débit, qui représente environ 79 % de toutes les connexions de ce genre, est la ligne d’abonné numérique asymétrique (ADSL). L’ADSL représentait 6,6 millions de lignes en 2008 (CMT, 2008 ; OCDE, 2008) pour 45 millions d’habitants. L’accès mobile est la technologie qui progresse le plus rapidement, notamment l’offre de services de données par les opérateurs de la téléphonie mobile commerciaux (service général de paquets radio [GPRS] et troisième génération [3G]), les opérateurs commerciaux offrant des services Wifi et quelques organisations communautaires offrant des réseaux ouverts qui font appel au Wifi, en particulier dans les zones où les opérateurs commerciaux n’offrent qu’un service limité ou sont totalement absents.

Les réseaux communautaires connaissent un essor remarquable comme en témoigne Guifi.net[1] qui comptait près de 5 000 nœuds en 2008. Guifi.net est un réseau qui appartient à ses utilisateurs et fonctionnent en dehors des opérateurs commerciaux. On le retrouve surtout dans une région rurale où les opérateurs commerciaux n’offrent pas suffisamment de services de TIC. Cet exemple montre clairement comment un réseau ouvert peut être créé et géré par une collectivité et comment il contribue au développement social et économique de la région[2]. La participation des gouvernements et des entreprises au niveau local montrent qu’il est possible de créer et de maintenir des partenariats commerciaux public-privé. Ces réseaux incitent les opérateurs commerciaux à fournir des services de TIC dans les zones mal desservies car les réseaux ouverts font augmenter considérablement le nombre d’utilisateurs instruits qui exigent des services de TIC modernes.

Il existe également un nombre croissant d’applications et de services de contenu, à mesure que les gens ont accès à l’internet et l’utilisent régulièrement. Les pouvoirs publics font des efforts pour permettre à la population de communiquer avec eux par l’internet – par exemple, aux niveaux national et de l’Union européenne (UE) avec la formulation d’un plan de développement d’une société de l’information et de convergence avec l’Europe (2006-2010), connu sous le nom de “Plan Avanza”. Mais concrètement, de nombreux services restent lettre morte pour des raisons fiscales notamment. Des cartes d’identité électroniques, contenant une puce et un certificat X.509 pouvant servir à une authentification électronique ont cependant été adoptées. Les lois récemment promulguées concernant les services électroniques (LSSI, 2002 et LISI, 2007 s’inspirant des directives de l’UE) ont établi un cadre légal stable pour les entreprises et les particuliers en matière de contenu, d’applications et de services. Mais cela s’est traduit par l’imposition d’obligations et d’un fardeau administratif pour les fournisseurs de services internet, ainsi que par des restrictions à la liberté d’expression et à la protection de la vie privée que certains jugent excessives.

La connaissance des logiciels libres s’améliore comme en témoigne l’adoption des applications libres comme Firefox, le nombre de distributions Linux locales, en particulier dans les écoles et les universités, le nombre d’événements concernant les logiciels libres et les débats sur leur adoption dans les administrations publiques.

Le contenu  créé en Espagne est essentiellement écrit en espagnol (castillan), à l’exception notable de l’introduction en 2006 du nom de domaine de premier niveau .cat. Il s’agissait de répondre aux besoins de la communauté linguistique et culturelle catalane. Quelque 30 000 domaines ont été enregistrés en seulement deux ans.

Contenu local

D’autres langues sont parlées en Espagne outre le castillan : l’aranais (Aranés), une variante de l’occitan, en Catalogne, le basque (Euskera) dans le pays basque et la Navarre, le catalan (Català) en Catalogne, dans les îles Baléares et dans la région de Valence et le galicien (Galego) en Galicie. Il existe également d’autres langues qui ne sont pas reconnues officiellement, qui ont moins de locuteurs et pour lesquelles la demande de reconnaissance est limitée au sein de leur propre région, ou qui ne bénéficient pas d’un soutien juridique et institutionnel suffisant. Le nombre d’articles dans Wikipedia dans les diverses langues d’Espagne s’établit comme suit : castillan 386 000, catalan 124 000, galicien 38 000, basque 28 000, occitan 14 000, asturien 11 000, et aragonais près de 10 000. Ces langues « mineures » ont des liens asymétriques avec le castillan et avec le reste des langues européennes parlées au sein de l’UE.

Plusieurs groupes linguistiques d’Espagne ont fait sentir leur présence dans les institutions européennes depuis le départ, mais compte tenu du manque évident de soutien de la part du gouvernement espagnol, ces langues ne sont pas utilisées dans les institutions européennes ou sur les sites web. L’Année européenne du dialogue interculturel de 2008 en est une illustration[3]. Alors que cette initiative vise à « explorer les avantages de notre riche patrimoine culturel et à s’ouvrir à nos différentes traditions culturelles », 27 pays mais seulement 23 langues ont été représentées – et seul le castillan était représenté parmi les langues parlées en Espagne.

Cela contredit les objectifs de la Stratégie nationale de l’Espagne pour l’Année européenne du dialogue interculturel : « Faire en sorte que ce dialogue interculturel devienne un processus permanent et dynamique au sein de la société espagnole et faire de ce processus un mécanisme fondamental pour assurer et faciliter l’application des objectifs énoncés dans la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles »[4]. Cette absence de représentation de la pluralité des langues en Espagne a été particulièrement évidente lors d’une campagne interculturelle. Le coût de la traduction fait partie des arguments invoqués, mais il existe des contre exemples, comme le site www.europarl.cat. La totalité du site du Parlement européen a été traduit en catalan et placé en ligne par une seule personne pour montrer que c’était possible. Par conséquent, des langues comme le letton ou l’estonien (qui comptent moins de deux millions de locuteurs) sont officielles, alors que le catalan, avec plus de neuf millions de locuteurs, n’est pas reconnu au niveau européen.

Droit relatif à la copie privée

Le droit relatif aux copies privées est imposé à l’achat de divers médias et matériel d’enregistrement, comme les CD, les appareils-photo numériques et les scanners[5]. Il s’agit de compenser les producteurs de contenu pour la copie privée de contenu acquis, une pratique légale en Espagne. Ce droit a été établi il y a dix ans et ratifié après une intense controverse au moment de la réforme de la loi sur le droit d’auteur adoptée en décembre 2007. De nouveaux tarifs sont en vigueur depuis le 20 juin 2008. Ce droit est perçu sans tenir compte de l’utilisation des médias et distribué de façon assez arbitraire. Il est favorisé par les médias traditionnels qui dépendent de la distribution de produits physiques (CD et DVD), mais est rejeté par une grande partie de la population, du secteur et des organisations professionnelles[6]. Toutefois, un groupe d’artistes innovateurs a adopté d’autres modèles pour la distribution de leurs productions.

Mesures à prendre

Un certain nombre d’obstacles nuisent à une participation citoyenne à la société de l’information et aux solutions qui permettraient de les surmonter.

  • L’administration publique continue d’utiliser les voies traditionnelles et ne tire pas avantage des possibilités de transparence et d’ouverture qu’offrent les TIC.
    • Les citoyens doivent avoir les moyens d’agir et les administrations publiques doivent devenir transparentes. Chaque mesure ou budget de l’État doit être annoncé, documenté et débattu publiquement dans les blogues, les forums ouverts et autres plateformes internet.
  • L’infrastructure d’accès et les réseaux appartiennent à des compagnies privées, qui bénéficient de l’aide des gouvernements dans les régions les moins rentables. La population dispose de peu d’information sur le fonctionnement des réseaux, qui font de l’internet un espace public, et n’exerce aucun contrôle.
    • Il faut entamer le dialogue et apporter un soutien plus marqué (légal et économique) pour faciliter, développer et promouvoir la participation des citoyens et des organisations citoyennes à la gouvernance des réseaux. Il faut pour ce faire établir des projets, des forums, des mécanismes de suivi, rédiger des rapports, etc.
    • Réseaux citoyens – les réseaux créés par des citoyens pour leurs propres besoins, comme les réseaux communautaires sans fil, doivent être soutenus et protégés explicitement et non laissés dans un vide juridique ou considérés comme une concurrence injuste pour les opérateurs commerciaux. C’est une alternative viable aux réseaux ouverts appartenant à des communautés, en particulier à des collectivités et des personnes qui ne s’intéressent pas aux offres commerciales. Les lois devraient soutenir et protéger ces initiatives par différentes mesures : attribuer du spectre supplémentaire, faciliter la création légale des réseaux et adopter des mesures incitatives juridiques et fiscales pour leur création. Ce devrait être le cas en particulier dans les régions rurales et là où ces réseaux desservent des populations exclues des offres commerciales.
  • Les secteurs des réseaux, des logiciels et des contenus se battent pour établir des monopoles en courtisant le pouvoir politique.
    • Concernant les réseaux, il faut des politiques plus rigoureuses pour réduire l’avantage des opérateurs dominants et créer de véritables marchés ouverts. C’est notamment le cas pour Telefónica, qui est l’opérateur monopolistique de fait en Espagne. Les autres opérateurs doivent être soutenus plus vigoureusement.
    • Concernant les logiciels, l’adoption des logiciels libres par l’administration publique doit être encouragée. Les pressions monopolistiques des compagnies aux pratiques anticoncurrentielles comme Microsoft doivent être découragées.
    • Concernant le contenu, les petits créateurs alternatifs et innovants doivent être protégés des grands groupes médiatiques nationaux et internationaux. Il faut également ouvrir le dialogue entre le gouvernement, les créateurs de contenu, les consommateurs de contenu  et les citoyens pour en arriver à un accord acceptable pour tous sur la réglementation du marché des contenus. Il faut mener des recherches sur de nouveaux modèles opérationnels dans le secteur des médias qui soient plus acceptables et équitables sur le plan éthique et commercial, contrairement au droit actuel, inéquitable et régressif.
  • Il devient urgent de formuler des politiques visant à promouvoir la diversité linguistique en ligne. La technologie n’étant pas neutre, il faut qu’une décision soit prise à tous les niveaux politiques d’utiliser l’internet pour sauvegarder, numériser, améliorer et promouvoir le patrimoine culturel des nombreuses langues du pays, majeures ou mineures, officiellement reconnues ou non. Sinon, l’internet pourrait contribuer à saper le riche patrimoine culturel de la diversité linguistique.
Références

Année européenne du dialogue interculturel: www.interculturaldialogue2008.eu

Année européenne du dialogue interculturel  – Stratégie nationale espagnole: www.interculturaldialogue2008.eu/fileadmin/downloads/documents/133-nationalcampaigns/national_strategy/strategy_spain_en.doc

Atkinson, R., Correa, D. et Hedlund, J., Explaining International Broadband Leadership, Washington, ITIF, 2008. 
Voir à: www.itif.org/index.php?id=142

CMT (Comisión del Mercado de las Télécomunicaciones): www.cmt.es

Guifi.net: www.guifi.net

OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), Broadband Statistics, 2008. 
Voir à: www.oecd.org/sti/ict/broadband

Site web du Parlement européen en catalan : www.europarl.cat

Todos contra el canon: www.todoscontraelcanon.org

Wireless Commons Licence: www.comesfa.org/WCL_EN


Notes de bas de page

 

[2] Pour plus de renseignements, voir: www.comesfa.org/WCL_EN

[5]Pour plus de renseignements, voir: en.wikipedia.org/wiki/Private_copying_right

[6] Todos contra el canon: www.todoscontraelcanon.org