Normes ouvertes

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Yale Information Society Project

 

Introduction – Normes ouvertes, ouvrir la liberté humaine

Les normes sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont un élément critique de la politique sur le savoir mondial. Les normes ne sont pas du matériel ou des logiciels mais des directives ou des spécifications nécessaires au développement de produits compatibles avec d’autres produits de TIC. Les normes connues comprennent le Wi-Fi, Bluetooth, le MP3, le Motion picture experts group (MPEG), le protocole de transfert hypertexte (HTTP) et le protocole de contrôle de transmission/protocole Internet (TCP/IP) qui sous-tendent l’internet[1]. Mais la grande majorité des normes ne sont pas visibles à l’utilisateur final car elles sont profondément incorporées à la conception du logiciel et du matériel. Ces spécifications établissent des règles universelles de formatage, compression, transmission, accès, sécurisation et affichage de l’information. Bien qu’il s’agisse de fonctions très techniques, la conception et la mise en œuvre des normes ont également des implications économiques et politiques importantes.

Ce rapport décrira comment le degré d’ouverture des normes influe sur la politique du savoir mondial de quatre façons. Premièrement, les normes sont directement liées à l’innovation, à la concurrence et au commerce mondial. Deuxièmement, les décisions concernant la conception des normes déterminent parfois les libertés civiles en ligne (notamment la vie privée de l’utilisateur) et la capacité des citoyens à partager et consulter le savoir ou participer à des processus politiques électroniques. Troisièmement, le manque d’ouverture des normes peut avoir un effet disproportionné dans les pays en développement. Finalement, les normes ont des effets sur la justice distributive lorsqu’elles créent des ressources finies (par exemple, le spectre, la bande passante, les adresses internet) nécessaires pour participer à la société de l’information. Ce rapport conclut par la recommandation d’une définition des normes ouvertes qui favorise l’accès universel au savoir, offre des règles du jeu équitables pour l’innovation et optimise la légitimité des institutions de normalisation pour prendre des décisions qui ont des implications directes sur la politique[2].

Les normes comme politique sur le savoir mondial

Jack Balkin a décrit l’accès au savoir comme une demande de justice. C’est à la fois une question de développement économique, de participation et de liberté individuelle et tout en concernant la propriété intellectuelle, elle ne s’y limite pas[3]. Il s’agit d’un cadre utile pour comprendre les implications des normes ouvertes sur le savoir. Les normes sont un exemple d’outils intégrés qui permettent l’innovation en matière de logiciels et de matériel, tout comme les outils nécessaires au développement des technologies médicales ou des ressources agricoles[4]. Si ces outils comprennent de l’information propriétaire et des droits de propriété intellectuelle sous-jacents, les nouvelles innovations nécessiteront une permission et des redevances. Les normes de l’internet, comme TCP/IP et le HTML ont été traditionnellement développées dans un cadre relativement ouvert. Elles sont publiées et tout un chacun peut les utiliser pour créer de nouvelles technologies et de nouveaux modes d’échange d’information. Par conséquent, la disponibilité des normes ouvertes a contribué à la démocratisation de la culture en ligne, à la dissidence politique et à l’innovation de l’internet. Mais les normes ne présentent pas toutes le même niveau d’ouverture, y compris les normes relatives aux nouvelles formes de vidéo internet. Voici une description des implications du niveau d’ouverture des normes sur divers aspects de la politique sur le savoir mondial.

Innovation

Les normes techniques étant les outils de base que les compagnies concurrentes ou les particuliers utilisent pour développer de nouveaux produits qui sont interopérables avec d’autres produits fondés sur la norme, elles sont sources d’innovation. Mais cette liberté d’innovation n’est possible que si la norme est publiée et que son utilisation n’est pas limitée par un droit de propriété intellectuelle. Ce degré d’ouverture contribue à des règles du jeu équitables, sources d’innovation et de concurrence. Malheureusement, au XXIe siècle, les droits de propriété intellectuelle fondés sur les normes deviennent des obstacles non tarifaires au commerce mondial dans les marchés de TIC (voir par exemple le cas de la norme WAPI en Chine)[5]. Ils peuvent faire monter les prix des technologies d’accès large bande comme le WiMAX qui aurait le potentiel d’aider le monde en développement à rattraper son retard. Le degré d’ouverture participative du processus d’établissement des normes lui-même est directement en lien avec l’innovation. On sait que les nouvelles formes de collaboration ouverte et répartie permettent l’innovation dans la production d’informations et le développement de logiciels. De même, les normes les plus innovatrices sont toujours nées des organisations les plus ouvertes, comme l’Internet Engineering Task Force (IETF) et le World Wide Web Consortium (W3C), qui accueillent la participation de tous les intéressés.

Accès au savoir et droits humains

Les organismes de normalisation prennent des décisions qui concernent les droits humains lorsqu’ils conçoivent des normes qui impliquent des processus de politique fondamentaux, comme le vote électronique, l’accès aux archives électroniques gouvernementales et l’existence de services gouvernementaux en ligne. Les décisions de conception qui sous-tendent des normes structurent également les technologies, qu’il s’agisse d’outils de réseautage social, de systèmes d’éducation numérique ou de plateformes Web 2.0, qui créent les conditions informelles de participation citoyenne à la sphère publique. De plus, les choix adoptés pour l’élaboration des normes techniques, qu’il s’agisse de normes de chiffrement, de normes d’adressage[6], ou de normes cellulaires, peuvent déterminer le degré de protection de la vie privée des utilisateurs et le droit d’être libre de toute surveillance ou censure gouvernementale non justifiée.

Développement[7]

Le degré d’ouverture des normes peut avoir des effets marqués dans les pays en développement. L’Union internationale des télécommunications (UIT) dirige actuellement un projet intitulé Réduire l’écart en matière de normalisation[8] pour pouvoir formuler des recommandations sur la réduction de l’écart entre les pays développés et en développement. Les disparités se produisent dans plusieurs domaines. Par exemple, les processus institutionnels de normalisation ne tiennent pas nécessairement compte des intérêts des pays en développement. Les entreprises des pays émergents sont parfois désavantagées dans le domaine des droits de propriété intellectuelle si elles participent tardivement aux processus de normalisation dans certains marchés car elles n’ont généralement pas de grands portefeuilles de brevet, ni de personnel juridique suffisant ou d’ententes réciproques de concession de licence qui sont monnaie courante dans les pays développés.

L’attribution de ressources limitées

Les normes créent parfois les ressources limitées nécessaires à l’accès et à la participation politique, culturelle et économique à la société de l’information. Certaines normes structurent et attribuent le spectre de fréquence radio (par exemple les normes de radiodiffusion, le Wi-Fi et les normes cellulaires), certaines donnent la priorité à des flux d’information en fonction du type d’application (par exemple, voix ou vidéo), d’autres créent les ressources nécessaires à l’accès, comme l’IP, ce qui donne un bassin fini d’adresses internet. La création de ces ressources, leur mode de distribution et par qui donne lieu à des inégalités d’accès et de qualité et dans la liberté d’utiliser les ressources pour créer de nouveaux systèmes de communication.

Ouverture des normes

La justification technique des normes ouvertes est l’interopérabilité qui permet l’échange universel d’informations, qui à son tour offre des possibilités d’expression politique et créatrice universelle. La motivation économique des normes ouvertes est de créer des règles du jeu équitables pour l’innovation, que ce soit pour des entreprises concurrentes ou pour le simple citoyen. La justification politique des normes ouvertes est de donner aux organismes de normalisation la légitimité de prendre des décisions qui impliquent des libertés civiles en ligne ou des fonctions gouvernementales centrales. Pour atteindre ces objectifs, ce rapport préconise la promotion de normes ouvertes, dont le développement, la mise en œuvre et l’utilisation sont également ouverts.

L’élaboration des normes devrait rendre compte d’une ouverture participative et informationnelle. Le processus devrait être ouvert à tous les intéressés, comprendre des procédures bien définies pour la sélection des normes et les processus d’appel et faire connaître les membres (le cas échéant), les sources de financement, les affiliations, le processus, les droits de propriété intellectuelle, les comptes rendus des réunions et débats et les délibérations électroniques. Pour promouvoir l’innovation et la surveillance du public, la norme elle-même – l’outil nécessaire pour développer les produits – devrait être publique. Une spécification non publiée est propriétaire et par définition n’est pas une norme. L’accès à la norme ne devrait pas être payant et la norme devrait s’appliquer à des produits sans redevances irrévocables. Alors que différents niveaux d’ouverture conviennent dans différents contextes, ces caractéristiques encouragent une plus grande vigilance du public et l’égalité des chances pour l’innovation. L’élaboration de normes ouvertes et les critères de mise en œuvre donnent lieu à une norme dont l’utilisation est ouverte, donnant des produits multiples et concurrents fondés sur la norme, ce qui évite le blocage d’un fournisseur et permet à tout un chacun d’utiliser la norme pour n’importe quelle raison.

Dans l’intérêt public, les gouvernements ont de nombreux incitatifs pour favoriser l’adoption de normes ouvertes pour les TIC. Les gouvernements, surtout dans le monde en développement, sont des parties importantes aux marchés de la technologie. Reconnaissant les implications des normes ouvertes pour l’intérêt public, les gouvernements établissent de plus en plus de cadres d’interopérabilité et de politiques d’acquisition de la technologie qui favorisent les normes techniques ouvertes.

[1] Les normes sur le réseau local sans fil IEEE 802.11 sont collectivement appelées « Wi-Fi » ; Bluetooth est un protocole pour la transmission sans fil à courte distance ; MP3 signifie MPEG Audio Layer 3 et permet d’encoder et de compresser les fichiers audio ; MPEG est un ensemble de normes de compression vidéo ; la norme http concerne l’échange d’information entre les navigateurs et les serveurs web ; TCP/IP est une famille centrale de normes qui permettent les communications internet.

[2] Pour un cadre détaillé des meilleures pratiques en matière d’ouverture des normes, voir DeNardis, L., Protocol Politics: The Globalization of Internet Governance, The MIT Press, Cambridge, 2009.

[3] Jack Balkin, Opening remarks in the Plenary Session of the Access to Knowledge (A2K) Conference at Yale Law School, 21 avril, 2006. balkin.blogspot.com/2006/04/what-is-access-to-knowledge.html

[4] Benkler, Y., The Wealth of Networks: How Social Production Transforms Markets and Freedom, Yale University Press, New Haven, 2006.

[5]  WAPI est une norme nationale chinoise pour les réseaux locaux sans fil. Voir Gibson, C., Technology Standards—New Technical Barriers to Trade?, dans Bolin, S. (éd.) The Standards Edge: Golden Mean, 2007. ssrn.com/abstract=960059

[6] Une norme d’adressage comprend l’information numérique, comme une adresse internet binaire, qui est nécessaire pour acheminer l’information entre un expéditeur et une destination.

[7] Un programme de développement pour les normes ouvertes est présenté dans DeNardis, L., Open Standards and Global Politics, International Journal of Communications Law and Policy, Issue 13, Special Internet Governance Edition, hiver 2008-2009.